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mardi 2 octobre 2018

Lendemain de veille

Bonjour,

Pas possible de se mettre la tête dans le sable ce matin. Les sondages se sont trompés gravement. Le Parti Libéral du Québec (PLQ) a obtenu 25% des votes alors que les sondages lui prévoyaient un appui de 30% en moyenne.  La Coalition Avenir Québec (CAQ) a obtenu 38% soit cinq points de plus que ce que lui était prédit. Au final, la somme des erreurs pour les deux principaux partis est de 10 points, soit le même niveau que l'erreur historique des sondages en Colombie Britannique en 2013 mais quand même moins pire que l'erreur des sondages en Alberta en 2012 (17 points). Notons que dans les trois cas, les deux partis de tête sont du même côté du spectre politique ou relativement proches (Wild Rose et Parti Conservateur en Alberta, NPD et Parti Libéral en Colombie Britannique).

Le graphique montre les prédictions des sondages comparées aux résultats de l'élection. Il montre l'écart important entre les sondages et les résultats pour les deux partis de tête. Par contre, pour ce qui est du Parti Québécois (PQ) et de Québec Solidaire (QS), la prédiction est tout à fait dans la marge d'erreur.

Et les discrets?

Cette élection est sans doute la dernière où l'on aura pu parler de la sous-estimation du PLQ et de la nécessité de faire une répartition non-proportionnelle des discrets. D'une part, le PLQ n'a pas été sous-estimé. D'autre part, pour QS, en se basant sur les élections précédentes, ma répartition prédisait une surestimation et corrigeait en conséquence. Or QS n'a pas été surestimée. Ma répartition avait aussi pour effet d'accorder un plus fort appui au PQ. Là encore, ce n'était pas nécessaire. Ceci dit, comme les sondages faits par IVR (téléphone automatisé) ont très peu d'indécis, la répartition changeait surtout les résultats des sondages WEB ou WEB combiné avec téléphone.

Que penser? L'absence de surreprésentation de Québec Solidaire pointe peut-être vers une mobilisation différente de l'électorat (comme dans l'élection de Obama en 2008). Il faut se rappeler que chaque élection peut mobiliser des électeurs différents. En 2014, ce sont les non-francophones qui avaient été mobilisés par la Charte des valeurs proposée par le PQ. Cette fois-ci, on peut penser que les jeunes ont été plus mobilisés. Les analyses du DGEQ nous permettront de voir si cette hypothèse est validée. Toutefois, ces explications ne sont pas suffisantes pour expliquer l'ampleur de l'écart entre les sondages et le vote.

En conclusion

Historiquement, chaque erreur des sondages a permis de les améliorer, ceci évidemment à condition que l'on se retrousse les manches pour tenter de comprendre les raisons de l'échec, sur le plan technique et possiblement sur le plan politique. Y a-t-il eu des changements dans l'électorat dont les firmes n'ont pas pu tenir compte? Les erreurs sont-elles plus susceptibles de se produire quand deux partis sont proches? Les échantillons sont-ils représentatifs de la population socio-politiquement? Une enquête indépendante à laquelle les sondeurs collaboreraient serait certainement une bonne chose dans les circonstances. A défaut d'une telle enquête, on s'attend à ce que les sondeurs analysent la situation et nous reviennent avec leurs conclusions.

samedi 29 septembre 2018

A quoi s'attendre

Bonjour,

Ce billet complète l'article paru aujourd'hui dans La Presse + https://t.co/FFNkCNhMuq. Je présente d'abord l'évolution des intentions de vote pour l'ensemble du Québec, avec ou sans répartition non-proportionnelle des discrets, et chez les francophones. Enfin, j'aborde l'évolution par groupe d'âge.

L'évolution des intentions de vote

Même si j'utilise une méthodologie différente de celles des aggrégateurs, il y a évidemment convergence dans l'estimation de l'évolution des intentions de vote puisqu'elles sont basées sur les mêmes données de sondage.


Le graphique suivant montre l'évolution depuis le début août 2018. Il montre que les appuis à la CAQ ont chuté légèrement mais cette baisse s'est arrêtée au cours de la dernière semaine. Au final, on se retrouve avec la CAQ et le PLQ à égalité statistique.



Toutefois, nous savons depuis très longtemps que les sondages ont tendance à sous-estimer le PLQ. Depuis 2003, j'utilise une répartition non-proportionnelle des discrets où j'accorde 50% des discrets au PLQ et 25% au PQ et à la CAQ. Cette répartition a pour effet d'augmenter un peu les appuis au PLQ et au PQ et de faire diminuer les appuis à la CAQ et à QS. Depuis 2003, elle a toujours donné une meilleure estimation du vote (Je ne l'ai pas fait en 2008). Cette élection est peut-être différente mais je n'ai aucune base pour modifier la répartition que j'ai utilisée depuis 2003. Notons que cette répartition ne postule pas que les discrets se distribuent comme proposé mais qu'elle permet de compenser pour un ensemble de biais, entre autres dans l'estimation du vote des non-francophones.

Le graphique produit avec cette répartition met le PLQ très légèrement en avance sur la CAQ, tout autant à égalité statistique qu'avec une répartition proportionelle. Il sépare plus toutefois les intentions de vote pour le PQ et celle de QS, en donnant une avance plus conséquente au PQ.




Plusieurs sondeurs et commentateurs ont relevé l'importance du vote francophone. De fait, le graphique suivant montre la forte avance de la CAQ chez les francophones. Pendant la campagne, les appuis à la CAQ et au PLQ ont diminué un peu au profit du PQ et de QS.





Qui vote pour qui?

L'examen des intentions de vote par groupe d'âge est très instructif. Notons d'abord que, comme Mainstreet n'utilise pas les mêmes catégories d'âge que les autres sondeurs, il est nécessaire de faire des estimations. Je remercie Philippe J. Fournier de Qc125 pour le partage de ses estimations pour les 35 ans et +,


Les graphiques sont présentés par parti politique. D'abord, regardons les "vieux partis", le PQ d'abord puis le PLQ. On note qu'il y a peu de différences entre les groupes d'âge dans l'appui au PQ, à peine cinq points entre l'appui des plus jeunes et des plus vieux, et une évolution similaire, soit une stabilisation des appuis au cours des deux dernières semaines.



Pour ce qui est du PLQ, la situation est un peu différente. En début de campagne,  tout comme pour le PQ, il y a peu de différence dans l'appui selon les groupes d'âge. Puis le PLQ perd l'appui des jeunes et éventuellement en regagne une partie en fin de campagne. Ce qui est le plus frappant toutefois est la hausse des intentions de vote chez les 55 ans et plus au cours des derniers jours.


La situation est très différente pour les deux autres partis. D'abord la CAQ. Le graphique montre que la CAQ recueille des appuis également chez les 35-54 ans et chez les 55 ans et plus. Toutefoir, elle recueille nettement moins d'appui des 18-34 ans. Dans ce groupe d'âge, l'appui à la CAQ est de 10 à 12 points inférieure à celle des autres groupes d'âge.



La situation est à l'inverse pour QS. Les jeunes sont presque les seuls responsables de la montée des appuis à ce parti. Le parti est presque absent chez les 55 ans et plus. Chez les 35-54 ans, il a connu une légère remontée.




En conclusion

Bref, chez ceux qui ne veulent pas voter pour un des partis "traditionnels", il y a une forte séparation selon l'âge. Quel impact sur les résultats des élections? Comme je l'avais indiqué dans un tweet, sur les douze comtés qui comptent la plus forte proportion de jeunes, trois ont déjà un député de QS et quatre sont visés par ce parti (Hochelaga Maisonneuve, Laurier- Dorion, Taschereau et Sherbrooke. Il demeure toutefois que la force de la CAQ chez les francophones et chez deux des trois groupes d'âge lui donne un avantage hors centres urbains et particulièrement hors Montréal. Par contre, la remontée de l'appui au PLQ chez les 55 ans et plus et son appui chez les non-francophones peut réserver des surprises.

Toutefois, dans cette élection, les deux principaux partis sont à égalité et donc les sondages ne permettent pas de prédire les résultats de lundi. Il faut éviter de répéter l'erreur de l'élection présidentielle de 2016 où l'on avait prédit la victoire de Hillary Clinton alors qu'il y avait égalité statistique entre les deux candidats dans la très grande majorité des sondages de la dernière semaine.




Remerciements: A Luis Patricio Peña Ibarra pour une entrée des données minutieuse et constante.

vendredi 21 septembre 2018

D'ou vient le vent?

Bonjour,

Ce blogue sera surtout consacré à une analyse des sources des changements dans les intentions de vote centrée sur le vote des jeunes et le vote des francophones. Il sera précédé d'un aperçu général.

J'attendais d'avoir au moins trois sources de données différentes pour faire d'autres analyses, question de valider sérieusement ce qui se passe. C'est fait. Nous avons maintenant des Mainstreet (que j'entre dans ma base de données une fois tous les trois jours seulement pour ne pas entrer trois fois la même information), un Léger et un CROP. Que disent-ils? Certaines contradictions entre les firmes se maintiennent et il suffit de deux nouveaux sondages pour changer l'allure des courbes mais on peut néammoins se fier au portrait des évolutions jusqu'à hier (tout en gardant en mémoire que les sondages ont été réalisés avant).

Un aperçu général

Le graphique suivant montre l'évolution des intentions de vote telles que publiées par les firmes. Les firmes font toutes une répartition proportionnelle des discrets, sauf pour ce qui est du dernier sondage CROP. Tel qu'expliqué par Monsieur Giguère, CROP a estimé les intentions de vote des discrets en se basant sur les intentions de vote des répondants non discrets similaires. Les informations que nous avons sur la manière de procéder ne sont pas encore très précises mais il s'agit d'une procédure statistique connue.


Le graphique montre clairement une baisse des appuis à la CAQ au cours des derniers jours, une légère remontée du PLQ et du PQ et une certaine stagnation de QS après une bonne remontée en début de campagne. Les points représentent les estimations de chaque sondage. Le point rouge à 37% et le point bleu tout près de la courbe de QS représentent les estimations récentes de CROP pour le PLQ et le PQ. Elles présentent des valeurs atypiques par rapport aux autres firmes mais seulement pour ces deux partis. Notez que ces points n'influencent pas beaucoup les courbes étant donnée la procédure utilisée qui donne moins de poids aux valeurs extrêmes.

On note que les courbes de la CAQ et du PLQ se croise. C'est encore plus évident si on utilise une répartition non proportionnelle des discrets (que je ne présente pas dans ce message de blogue).

D'où viennent les changements?

Je présente d'abord le graphique pour Québec solidaire parce qu'il est très parlant. Le graphique montre les intentions de vote pour QS pour l'ensemble de la population (ligne orange), pour les francophones seulement (ligne rouge) et pour les 18-34 ans (ligne bourgogne), telles que mesurées par les firmes de sondage. Il montre que la hausse des appuis à Québec solidaire vient presque exclusivement du groupe des 18-34 ans. Il y a eu une forte hausse en début de campagne mais elle semble s'être essouflée depuis. Qui a perdu au profit de Québec solidaire?


On a beaucoup parlé de l'appui des jeunes au PLQ. On s'attend à ce que l'adhésion d'une partie d'entre eux à QS se soit faite au détriment du PLQ. Voici donc le graphique pour le PLQ. La ligne orange montre que, dans la première moitié de la campagne, l'appui des jeunes au PLQ a dminué substantiellement. Toutefois, il semble y avoir eu une remontée dans les deux dernières semaines, ce qui explique en partie le plafonnement de QS. Il faut également noter sur cette courbe l'absence de mouvement dans les intentions de vote pour le PLQ chez les francophones jusqu'à date, l'estimation de CROP (29%) demeurant pour le moment une valeur extrême à moins qu'elle ne soit éventuellement validée.


Voyons maintenant ce qui s'est passé pour les deux autres partis. La CAQ d'abord. Les appuis à la CAQ sont en baisse depuis le début septembre selon les sondages publiés. Les jeunes sont nettement moins nombreux à voter pour la CAQ (près de 10 points de moins que l'ensemble de la population) et il y a eu une plus forte baisse de l'appui à la CAQ dans ce groupe. Au total, la baisse des appuis à la CAQ est présente également chez les francophones, une perte d'un peu plus de cinq points en moyenne.


Pour ce qui est du Parti Québecois, il a marqué des points (5-6 points de hausse) au cours des deux dernières semaines et ceci de façon à peu près équivalente chez les francophones et chez les jeunes. Les 18-34 ans sont moins enclins à voter pour le PQ que l'ensemble de la population ou des francophones mais l'écart (2-3 points) n'est pas aussi important que pour la CAQ.

Et les jeunes, donc?

Étant donné ce que nous venons de voir, j'ai pensé faire un graphique résumant l'évolution des appuis chez les 18-34 ans. Le graphique montre bien les divers mouvements mesurés chez les jeunes. Il faut évidemment être prudents parce que les marges d'erreur sont plus importantes que pour l'ensemble de la population (de 4 à 7 points selon les sondages). Il montre nettement plus de mouvement chez les jeunes, avec en début de campagne une hausse des appuis à QS qui se fait aux dépens du PLQ, puis une baisse des appuis à la CAQ qui profitent aux trois autres partis.


Quel est l'impact? Les 18-34 ans ne représentent que le quart de l'électorat potentiel et il est réparti relativement également dans l'ensemble des comtés. L'impact de leur vote est donc restreint. Toutefois, comme je l'ai indiqué dans un tweet hier, sur les 12 comtés comprenant le plus de jeunes, trois ont déjà des députés de QS (Gouin, Mercier et Sainte-Marie-Saint-Jacques) et trois sont dans la mire de QS, soit Laurier-Dorion, Hochelaga-Maisonneuve et Taschereau).


En conclusion
Les changements dans les appuis aux divers partis ne se répartissent pas également dans les divers groupes de la population et nos analyses doivent en tenir compte. Quel impact peut avoir le vote des jeunes? Celui des non-francophones? Cela dépend de la plus ou moins grande concentration des groupes dans les comtés et de la concentration des appuis au sein des groupes. 

samedi 15 septembre 2018

Les jeunes sont-ils si différents?

Dans La Presse aujourd'hui, "Les jeunes sont-ils si différents?"

Cet article a été écrit à partir d'une présentation que j'ai faite dans le cadre du Colloque organisé par La Presse et la Chaire sur la démocratie électorale de l'Université Laval "Jeunes et politiques, amour, désamour" tenu le jeudi 13 septembre.

Voici la présentation complète pour ceux, celles qui désirent en savoir plus.









































mercredi 29 août 2018

Les sondages sont-ils bons pour les électeurs?

Bonjour,

Voici le lien à l'article publié aujourd'hui dans La Presse: Les sondages sont-ils bons pour les électeurs?

J'ajoute des liens à deux articles présentant une  partie des recherches dont je parle dans l'article
1) Durand, C., Goyder, J., Daoust, J.F. et A. Blais (2018) Qui prête attention aux sondages?
dans Options Politiques, mars 2018.
2) Durand, C., Goyder, J., Daoust, J.F. et A. Blais (2018) Les sondages influencent-ils le comportement des électeurs? dans Options politiques, mai 2018:


Au plaisir

vendredi 24 août 2018

La ligne de départ: une mise à jour

Bonjour,

Nous n'avons pas encore de sondages de campagne mais avec les derniers sondages publiés hier et aujourd'hui, il est possible de mettre à jour mes dernières analyses. De plus, j'aborde la question des différences entre les firmes dans l'estimation du vote pour le PLQ, au total et chez les non-francophones.

 Les appuis ont-ils bougé depuis janvier?

Pour répondre à cette question, j'utilise un type d'analyse plus sophistiqué (pour les geeks, régression locale dans R) de tous les sondages publiés depuis novembre 2017. L'avantage d'utiliser cette méthode est qu'elle permet de bien visualiser la marge d'erreur. Pourquoi novembre 2017? Parce que j'ai besoin de suffisamment de sondages pour réaliser l'analyse. Le premier graphique montre l'évolution des intentions de vote telles que publiées par les firmes et donc avec une répartition des discrets au prorata du vote des "indiscrets".

Le graphique montre  que, en novembre 2017, la CAQ et le PLQ étaient à égalité dans les sondages.  La montée de la CAQ s'est faite en fin d'année et au début de 2018. Depuis lors, c'est le "calme plat". Les appuis à ces deux partis n'ont pas bougé et la CAQ aurait un léger avantage.


Qu'arrive-t'il si l'on fait une répartition non-proportionnelle des discrets attribuant 50% des discrets au PLQ et 25% chacun à la CAQ et au PQ, tel que je l'ai justifié dans mon précédent message de blogue? L'évolution est la même mais elle se termine par une égalité statistique entre le PLQ et la CAQ. Notons que les appuis au PQ et à QS n'ont pas bougé beaucoup non plus. Ces partis terminent presque au même niveau qu'en novembre 2017.



La question de l'estimation du vote pour le PLQ

En examinant les divers sondages, on note deux faits intéressants. D'une part, l'estimation du vote pour le PLQ est différent selon les firmes. D'autre part, cette estimation est tributaire de l'estimation du vote des non-francophones, une estimation qui varie également selon les firmes.  Voyons d'abord l'estimation du vote total selon les firmes. Le graphique suivant montre deux différences entre les firmes. D'une part, CROP tend à estimer le vote pour le PLQ près de cinq points plus élevé que les autres firmes. Avant de crier au complot (!), notons que les quatre firmes utilisent des méthodologies différentes qui peuvent expliquer les différences d'estimations: Léger a son propre panel WEB, Mainstreet utilise des sondages téléphoniques automatisés (IVR), Ipsos combine un panel web et des sondages téléphoniques et CROP utilise un panel Web dont le recrutement est différent de celui de Léger.
Mais d'où viennent ces différences? Le graphique suivant montre les estimations du vote pour le PLQ chez les non-francophones, par firme. La question est importante puisque l'on a souvent pointé du doigt une mauvaise estimation de ce vote pour expliquer la sous-estimation habituelle du PLQ. J'ai analysé ces estimations en 2012 dans mon billet intitulé "Le paradoxe de l'anglo péquiste/caquiste". Le graphique montre que l'estimation du vote pour le PLQ chez les non-francophones varie selon les firmes. 
  • Léger a estimé ce vote entre 65% et 70% sur l'ensemble de la période, à l'exception de son dernier sondage. (62%).
  • Ipsos l'a estimé à 60%, puis à près de 75%, pour revenir autour de 60% dans son dernier sondage. 
  • Mainstreet, qui utilise la langue d'usage comme indicateur plutôt que la langue maternelle, avait des estimations similaires à celles des autres firmes jusqu'en juillet dernier (estimation à 72%). Par contre, ses derniers sondages pour Capitales Media estiment plutôt le PLQ autour de 50% chez les non-francophones (58% dans son sondage d'aujourd'hui). 
  • CROP fait une estimation relativement stable entre 70% et 75% sauf pour son sondage de juin 2017 (80%).
Qui a raison? L'élection ne permettra pas de départager pour ce qui est du vote des non-francophones mais permettra de voir jusqu'à quel point le PLQ est ou n'est pas sous-estimé.


En conclusion 
 
En 2014, beaucoup de mouvement avait pris place dans les six mois précédant l'élection. Et d'autres mouvements, en sens inverse, s'étaient produits pendant la campagne. Cette campagne-ci est différente puisqu'elle commence comme si les partis étaient alignés sur la ligne de départ depuis déjà huit mois, ce qui peut sans doute être attribué à la nouvelle donne des élections à date fixe.



mercredi 22 août 2018

En attendant les sondages, parlons des discrets




Bonjour,
Je ne ferai pas d'analyse des sondages publiés tant qu'il n'y aura pas au moins trois firmes qui publient des sondages. Je juge cela plus prudent. Entretemps, j'ai décidé de faire un historique de la pratique de répartition non-proportionnelle des discrets. D'où vient cette pratique, comment a-t-elle évolué avec le temps, comment se justifie-t-elle? Ce survol historique commence... en 1959.

Les discrets d’hier à aujourd’hui
Le premier sondage électoral effectué dans le cadre d’une élection québécoise est attribué au Groupe de recherche sociale (Maurice Pinard) en 1959. Ce premier sondage prédit la victoire de l’Union Nationale et c’est le PLQ qui l’emporte. Dès le premier sondage donc, on note une sous-estimation des intentions de vote pour le PLQ. Cette question a préoccupé les chercheurs québécois depuis lors et particulièrement durant la période de 1970 à 2002. Au cours des années, les chercheurs ont proposé diverses méthodes pour corriger cette sous-estimation. Ils ont élaboré une procédure qui est demeurée strictement québécoise. 

Ce message de blogue fait une petite histoire des diverses tentatives proposées pour corriger la sous-estimation relativement systématique du vote pour le PLQ au Québec et conclut sur la situation actuelle. Message un peu long, mais nécessaire si on veut comprendre l’histoire de cette pratique.

Pourquoi parler de discrets plutôt que d’indécis?
L’idée de parler de discrets est attribuée par à peu près tous les chercheurs au politologue Vincent Lemieux de l’Université Laval, aujourd’hui décédé. Il aborde cette question dans un texte pour le journal Le Soleil dans le cadre d’un sondage pour l’élection d’avril 1970. Constatant que ceux qui se disent ne pas savoir pour qui ils voteront ou qui refusent de révéler leur vote ne sont pas nécessairement indécis, il propose de parler de discrets. Les personnes déclarant qu’elles allaient annuler ou qu’elles n’iraient pas voter étaient exclues de ce groupe. Cette question est d’autant plus importante à l’époque que la proportion de discrets est de 43% dans le sondage que Lemieux analyse.

Le terme « discrets » sera adopté par à peu près tous les politologues du Québec par la suite. On le retrouve dans les textes de Maurice Pinard, Pierre Drouilly, André Blais, Jean Crête et Guy Lachapelle, entre autres. Par contre, avec le temps, le terme englobe également les personnes qui disent vouloir annuler ou ne pas aller voter. Deux raisons peuvent expliquer cette situation. D’une part, très peu de répondants indiquent vouloir annuler ou ne pas aller voter (autour de 4-5% au maximum). Les exclure ne change donc pas vraiment les estimations tout en rendant les calculs plus complexes. D’autre part, certaines firmes de sondage ou certains media ne font pas la distinction entre les divers types de non-réponse, à tout le moins dans les informations publiées, ce qui fait que le seul moyen de comparer les comparables est de grouper l’ensemble des personnes qui ne révèlent pas leur vote.

Pourquoi répartir différemment les discrets?
Dès les débuts des sondages, les chercheurs, constatant que le PLQ est généralement sous-estimé (voir entre autres Gaudreault, 1976), font des hypothèses sur les raisons de cette situation. L’hypothèse que les discrets ne votent pas comme les répondants « indiscrets » s’impose rapidement. Pourquoi? Les chercheurs (voir les textes de Maurice Pinard et Guy Lachapelle, entre autres) constatent que les discrets ont un profil socio-démographique et socio-politique différent de celui des « indiscrets » et que ce profil s’apparente plus à celui des partisans du PLQ qu’à celui des partisans d’autres partis, particulièrement du Parti Québécois. Ils sont habituellement plus âgés, moins éduqués, plus fédéralistes.

De plus, les rares chercheurs qui ont voulu vérifier le profil des personnes qui ne collaborent pas aux sondages (Pinard et Hamilton, 1980) constatent que le profil socio-démographique de ceux-ci s’apparente également plus à celui des partisans du PLQ. Blais et ses collègues, en 1986, abondent dans le même sens. Pour tenir compte de cette situation, l’idée d’une répartition des discrets non-proportionnelle fait son chemin. L’idée est de tenir compte à la fois du profil des non-répondants aux sondages et de celui des répondants discrets.

Blais, Crête et Lachapelle, en 1986, proposent qu’une autre raison pourrait expliquer la sous-estimation du vote pour le PLQ : Le vote des non-francophones en faveur du PLQ serait plus élevé que ce qu’estiment les sondages.

Au-delà des constatations empiriques, Lachapelle fait allusion à la théorie de la « spirale du silence » proposée par Elizabeth Noelle-Neuman, qui postule que lorsqu’un parti n’apparaît pas populaire, dans les sondages ou dans les media entre autres, ses partisans auront tendance à cacher leur préférence, ce qui entraînera une spirale où le parti apparaîtra de moins en moins populaire.

Comment répartir les discrets?
L’idée s’impose donc rapidement de répartir les discrets différemment des « indiscrets ». Les premières tentatives sont relativement « traditionnelles ». Elles utilisent les réponses des discrets à d’autres questions comme la satisfaction face au gouvernement ou la perception des chefs de partis (Lemieux, 1970). En 1976, Pinard et Hamilton font quatre hypothèses: Les discrets voteraient soit comme leur vote déclaré à l’élection précédente, soit selon leur niveau de satisfaction face au gouvernement, soit comme leur groupe d’âge ou soit comme ceux qui répondent à la question de relance (la question de relance est la question posée aux personnes qui se disent indécises quant à leur intention de vote: on leur demande s'il y a un parti vers lesquelles elles ont tendance à pencher).

En 1986, Guy Lachapelle revisite la question des discrets en utilisant les données d’un sondage réalisé pour l’élection de 1985, une élection où il y avait eu une forte sous-estimation du vote du PLQ et une surestimation du vote des tiers partis. Lachapelle utilise une méthode d’analyse sophistiquée, l’analyse discriminante, qui permet d’estimer deux « fonctions » permettant de bien prédire l’intention de vote pour le PLQ et le PQ à partir de quatre questions portant sur la satisfaction face au gouvernement, la perception des deux principaux chefs de partis, la langue et le niveau de scolarité. Il applique ces deux fonctions aux discrets et conclut qu’une répartition de 62% des discrets au PLQ et de 38% au PQ – et aucun aux tiers partis – est appropriée. Il applique cette méthode uniquement à ceux qui disent être indécis ou qui refusent de révéler leur vote (17,4% des répondants), excluant ceux qui disent vouloir annuler ou ne pas aller voter (4,9%). Toutefois, la méthode ne permet pas de classer 30% des discrets, parce qu’ils ne répondent pas à une ou l’autre des quatre questions de classement.

Il apparaît assez rapidement que tenter de répartir les discrets en fonction de leurs réponses à d’autres questions comporte un problème majeur : Les discrets ont tendance à ne pas répondre également à ces autres questions.

D’autres chercheurs commencent à faire des hypothèses de répartition « empirique », basées habituellement sur des comparaisons entre les sondages et les résultats des élections précédentes. En 1980, pour le premier référendum sur la souveraineté, Pinard et Hamilton font l’hypothèse que 60% des discrets seulement iront voter et ils font trois hypothèses sur leur répartition (50% à chaque, 60% Non/40% Oui et 70% Non/30% Oui) en soulignant qu’il faut également tenir compte du profil des 24% de personnes contactées qui ont refusé de collaborer au sondage. La proportion de discrets est de 14%. Comme le non obtient 59% des votes, c’est l’hypothèse d’une répartition à 65% pour le Non qui aurait été la meilleure.

En 1986, André Blais, Jean Crête et Guy Lachapelle concluent qu’une répartition des discrets à 62% au PLQ et 38% au PQ aurait été appropriée, tout en soulevant le fait que cela ne règle pas la question des personnes qui ne collaborent pas aux sondages. Ils proposent également d’attribuer tous les discrets non-francophones au PLQ.

En 1994, Guy Lachapelle fait une analyse des sondages de l’élection tenue le 12 septembre. Il propose de nouveau que l’on attribue 62% des électeurs discrets au PLQ, 38% au PQ et aucun à l’ADQ, alors surestimée par les sondages. Gilles Therrien (1994), pour sa part, note que Léger&Léger a fait une répartition des discrets différente lors de cette élection, possiblement basée sur la probabilité d’aller voter.

C’est finalement à Pierre Drouilly, professeur à l'UQAM, qu’il faut attribuer une analyse systématique des discrets en vue du référendum sur la souveraineté de 1995. Dans un texte qu’il a fait circuler en août 1995 qui est reproduit dans son livre « Indépendance et démocratie », il montre d’abord que, empiriquement, il ne faut pas répartir les discrets comme s’ils n’iraient pas voter. Il indique (p. 180) « … les répondants discrets et les abstentionnistes ne sont pas des catégories équivalentes et la pondération des répondants discrets au prorata des réponses fermes introduit une distorsion systématique dans l’estimation des résultats du vote ».

Par contre, comme la proportion de discrets varie selon les firmes de sondage, il conclut que cette proportion a plus à voir avec la méthodologie des firmes qu’avec les répondants eux-mêmes. Enfin, il montre que la proportion d’électeurs discrets dans les sondages varie en sens inverse de la proportion d’électeurs fédéralistes (essentiellement les partisans du PLQ à cette époque), ce qui justifie selon lui l’utilisation du terme « discret » plutôt que du terme « indécis ». Il constate alors qu’une répartition non-proportionnelle des discrets a deux effets positifs : D’une part, elle permet d’obtenir de meilleures estimations. D’autre part, elle permet également de corriger pour les différences entre les firmes de sondages pour ce qui est de la proportion de discrets et diminue par le fait même les écarts d’estimation entre les divers sondages.

En analysant la différence entre la moyenne des sondages et les résultats des élections ou des référendums de 1970 à 1994, il en arrive à proposer une répartition des discrets qu’il juge réaliste pour le référendum de 1995, soit 75% des discrets au camp du Non et 25% au camp du Oui. Il compare cette répartition à deux autres hypothèses soit une hypothèse optimiste qui accorde 33% des discrets au Oui et une hypothèse pessimiste qui lui accorde 20%. Ces hypothèses de répartition sont reprises par divers media, dont La Presse. Dans son analyse post-référendaire, Drouilly montre que la répartition réaliste donne très exactement les résultats du référendum.

J’ai personnellement repris l’hypothèse optimiste dans mon analyse du référendum écossais du 2014. Cette répartition qui accordait 33% des discrets au Oui donnait une estimation nettement meilleure que la répartition proportionnelle mais elle sous-estimait quand même le Non. La répartition réaliste 75-25 aurait été meilleure.

Notons également que, dans les années 1990, la firme CROP a aussi proposé sa propre répartition, basée sur le profil socio-culturel des discrets.

Selon André Pratte dans La Presse, à l’élection de 1998, tous les sondeurs s’étaient ralliés à une répartition donnant 60% des discrets au PLQ, 30% au PQ et 10% à l'ADQ. Il s’agit de la seule élection où il y a eu convergence tant des sondeurs que des chercheurs sur cette question. Cette répartition n'avait toutefois pas empêché une erreur importante des sondages qui avaient prédit une forte avance au PQ alors que celui-ci avait terminé près de un point derrière le PLQ (Durand, Blais et Vachon, 2001).

La pratique a finalement été abandonnée en 2002 par les deux principales firmes de sondage de l’époque – Léger et CROP-- un an avant l'élection de 2003. L'ADQ bénéficiait alors d'une forte hausse de ses appuis dans les sondages. Les sondeurs ont jugé qu’il n’y avait pas de justification permettant de maintenir une répartition accordant seulement 10% des discrets à l'ADQ alors que celle-ci bénéficiait de 40% des intentions de vote.

Toutefois, comme rien ne semblait montrer que la sous-estimation des appuis au PLQ avait disparu, j'ai personnellement proposé une révision de la répartition qui selon moi, permettait de tenir compte à la fois de l’émergence de l’ADQ et de la sous-estimation historique du PLQ. J’ai fait l’hypothèse qu’il fallait attribuer 50% des discrets au PLQ, et 25% chacun au PQ et à l'ADQ. L’élection de 2003 se soldera finalement par une victoire du PLQ et l’ADQ obtiendra 18 % du vote. La répartition révisée avait donné une prédiction presque parfaite des résultats.

J’ai continué à appliquer ce mode de répartition en 2007, 2012 et 2014 et il a toujours donné de meilleures estimations qu'une répartition proportionnelle. En 2012, j’avais fait une hypothèse supplémentaire où les discrets francophones se répartissaient non-proportionnellement (50,25,25) et les non-francophones votaient à 70% pour le PLQ. Cette hypothèse avait surestimé le vote du PLQ. J’en ai conclu que la répartition non-proportionnelle compensait entre autres pour la sous-estimation du vote PLQ des non-francophones. La méthode que j’ai proposée a l’avantage d’être stable dans le temps et validée empiriquement mais il n'est pas impossible qu'elle doive être modifié avec le temps.

En conclusion, et maintenant?
Notons d’abord que, depuis 2012, les méthodes utilisées pour faire des sondages se sont fortement diversifiées. La plupart des sondages publiés utilisent le Web ou les sondages téléphoniques automatisés. Ils n’utilisent donc pas d’interviewers et on peut penser qu’il n’y a pas de pression sociale à révéler une intention de vote « socialement acceptable ». Par contre, cela ne veut pas dire que les biais d’échantillon ont disparu, d’autant plus qu’il n’y a plus d’échantillons strictement probabilistes.

Selon les hypothèses que l’on fait, on aura des estimations différentes. Si on postule que la sous-estimation du PLQ était plutôt due au profil socio-démographique des discrets et des non-répondants, on pourrait penser que la CAQ risque plus d’être sous-représentée que le PLQ puisque, selon certains sondages, les partisans de la CAQ sont plus âgés et moins scolarisés et que le profil des électeurs du PLQ tend à changer.

Toutefois, si on postule que c’est la spirale du silence qui est responsable de la sous-estimation du PLQ (voir Lachapelle, 1985), on peut penser que le PLQ sera toujours sous-estimé, quoique de façon moins importante puisque les sondages sont auto-administrés.

Une autre hypothèse est ce que les anglophones appellent « shy Conservatives » hypothesis, l’hypothèse que les personnes plus conservatrices ont moins tendance à révéler leur vote. Ceci se traduirait au Québec par l’hypothèse des « Libéraux timides » ou des « CAQistes timides ». Si cette hypothèse tient, est-ce la CAQ ou le PLQ qui risquent d’être sous-estimés? La question demeure, d’autant plus qu’en 2007, c’est l’ADQ qui avait été sous-estimée, plus que le PLQ.

Enfin, la question de l’estimation du vote des non-francophones demeure. Certains sondages estiment l’appui au PLQ à environ 50% dans ce groupe, ce qui semble nettement sous-estimé.

Une dernière remarque : La répartition non -proportionnelle que j’ai utilisée au cours des dernières élections -- attribuant 50% des discrets au PLQ, 25% à la CAQ et 25% au PQ -- a d’autant plus d’impact lorsqu’elle diffère de façon importante de la répartition proportionnelle. En 2014, alors que l’élection se terminait plus ou moins à 40% pour le PLQ et 25% respectivement pour la CAQ et le PQ, la répartition non proportionnelle permettait de corriger la légère sous-estimation du PLQ et la surestimation de QS. En ce moment, elle gonfle légèrement les intentions de vote pour le PQ et, de façon plus importante, celles pour le PLQ. À l’inverse, elle diminue les intentions de vote pour la CAQ au point de mettre le PLQ et la CAQ à égalité. Est-ce approprié? Pour le moment, je présente toujours les deux hypothèses – répartition proportionnelle et non proportionnelle – dans mes analyses. Je verrai au cours de la campagne si je peux justifier une troisième hypothèse et sur quelles bases je pourrais le faire.

En terminant, mes sincères remerciements à André Blais, Maurice Pinard et Guy Lachapelle pour leur aide très précieuse.

Références :
Blais, A, Crête, J et G. Lachapelle (1986). L’élection québécoise de 1985 : Un bilan des sondages. Revue canadienne de science politique, (19) 2, p. 325-336.
Drouilly, P. (1997). Indépendance et démocratie, L’Harmattan, Paris, 355 p.
Durand, C. Blais, A et S. Vachon (2001). A Late Campaign Swing or a Failure of the Polls? The Case of the 1998 Québec Election », Public Opinion Quarterly, 65 (1), 108-123.
Gaudreault, L. (1976). Sondages : Le public doit savoir. Le Soleil, 17 novembre 1976, p. A5.
Lachapelle, G. (1994). Sondages : Des discrets ont joué les trouble-fête, La Presse, 14 septembre 1994.
Lachapelle, G. (1986). Les répondants discrets et l’élection québécoise de 1985. Politique, (10), p. 31-54.
Lachapelle, G. (1985). Les indécis et la spirale du silence, Le Devoir, 9 décembre 1985, p. 8.
Lemieux, V. (1970). Trois hypothèses sur le vote des indécis." Le Soleil, 18 April, 1970, p 18.
Pinard, M. (2005). Political Ambivalence towards the Parti Québécois and Its Electoral Consequences, 1970-2003. Canadian Journal of Sociology, (30) 3, p. 281-314.
Pinard, M. & R. Hamilton (1976) Quelques hypothèses sur le comportement des indécis." Le Devoir, 10 Novembre 10, p. 2.
Pinard, M. & R. Hamilton (1980). Quelques hypothèses sur le comportement des 'discrets'." Le Devoir, 16 mai 1980, p. 7.
Pratte, A. (1998) Les cachotiers et les insondables, La Presse, 5 novembre 1998, p. B6.
Therrien, G. (1994). Les sondages : Un poids, deux mesures, La Presse, 24 septembre 1994.