On souligne souvent dans les medias qu’une participation
élevée aux élections « aide » le Parti québécois (voir par exemple
une chronique
récente d’Alec Castonguay dans l’Actualité où celui-ci « rappelait »
qu’un faible taux de participation avantage les Libéraux). J’ai examiné cette
hypothèse dans un article
paru dans Options politiques en février 2009. Dans cet article, je concluais
que la participation était d’abord et avant tout liée au fait que la lutte
était ou non serrée. En gros, il faut regarder le sens de la relation :
ce n’est pas que la participation « aide » le Parti Québécois à
prendre le pouvoir mais que l’éventualité d’une prise du pouvoir par le Parti
Québécois encourage la participation, y compris celle de ses opposants. J’ai
collecté les données des élections de 2012 pour vérifier si cette conclusion
tient toujours.
Le premier tableau indique le taux de participation depuis l’élection
de 1973, les résultats pour les trois partis ayant recueilli le plus de vote de
même que l’écart entre la proportion de vote obtenu par le premier et le
deuxième parti et entre le deuxième et le troisième parti.
Tableau 1 Participation et
résultats du vote
|
||||||
participation
|
parti 1
|
parti 2
|
parti 3
|
écart p1-p2
|
écart p2-p3
|
|
1973
|
80,4
|
54,6
|
30,2
|
9,9
|
24,4
|
20,3
|
1976
|
85,3
|
41,4
|
33,8
|
18,2
|
7,6
|
15,6
|
1981
|
85,5
|
49,3
|
46,1
|
4,0
|
3,2
|
42,1
|
1985
|
75,7
|
56,0
|
38,7
|
2,4
|
17,3
|
36,3
|
1989
|
75,0
|
50,0
|
40,2
|
3,7
|
9,8
|
36,5
|
1994
|
81,6
|
44,7
|
44,4
|
6,5
|
0,3
|
37,9
|
1998
|
78,3
|
43,6
|
42,9
|
11,8
|
0,7
|
31,1
|
2003
|
70,4
|
46,0
|
33,2
|
18,2
|
12,8
|
15
|
2007
|
71,2
|
33,1
|
30,8
|
28,3
|
2,3
|
2,5
|
2008
|
57,4
|
42,1
|
35,2
|
16,4
|
6,9
|
18,8
|
2012
|
74,6
|
31,9
|
31,2
|
27,5
|
0,7
|
3,7
|
Ce tableau permet de constater trois points.
- Le taux de participation ne diminue pas automatiquement avec le temps. Il fluctue d’élection en élection.
- Il y a effectivement une relation entre le taux de participation et le parti élu. Dans les élections où le Parti Québécois est élu (lignes en bleu), le taux de participation est nettement plus élevé que dans les élections où le PLQ prend le pouvoir.
- Lorsque le Parti Québécois est élu, la lutte est toujours plus serrée que dans les élections où le Parti Libéral est élu. En fait, au cours des trois dernières élections où le Parti Québécois a été élu, l’écart entre celui-ci et le Parti Libéral du Québec (écart p1-p2) a toujours été inférieur à un pourcent, en plus (1994, 2012) ou en moins (1998). Il s’agit donc d’élections très serrées.
La deuxième question qui se pose est pourquoi? Si le taux de participation est
plus élevé lorsque le Parti Québécois est élu, est-ce parce que ses partisans
vont plus voter ou parce que les partisans des autres partis se mobilisent
plus?
Dans l’article publié dans Options politiques, je soutenais que le taux de participation dans chaque circonscription variait en fonction de
deux éléments : a) jusqu’à quel point la lutte est serrée et b) jusqu’à
quel point la circonscription élit des partis différents d'une élection à l'autre. Une évidence,
direz-vous, mais la vérification permet de savoir d’où vient la hausse du taux
de participation.
Regardons d’abord la moyenne du taux de participation et de l’écart
entre la proportion de vote du parti arrivé premier et du parti arrivé deuxième
en fonction du parti élu dans chaque circonscription en 2012.
Tableau 2. Parti
élu, participation et écart entre le 1er et le 2ème en
2012
|
|||
Nombre
|
Taux de
participation
|
Écart
entre le 1er et le 2ème
|
|
PLQ
|
50
|
70,9
|
20,5
|
PQ
|
54
|
73,8
|
14,2
|
CAQ
|
19
|
78,4
|
11,5
|
QS
|
2
|
76,4
|
18,4
|
Le tableau 2 montre que la participation est la plus élevée dans les circonscriptions qui
élisent la CAQ ou Québec solidaire. De
plus, c’est aussi dans les circonscriptions où la CAQ a été élue que l’écart
moyen entre la CAQ et le parti arrivé deuxième a été le plus faible. Pourquoi?
Entre 2008 et 2012, il y a eu des changements dans les
limites de plusieurs circonscriptions. Je ne peux pas en tenir compte, les
calculs seraient trop longs. J’ai donc gardé uniquement les circonscriptions
qui avaient gardé exactement le même nom depuis 2003, soit 110. Les
circonscriptions sont catégorisées de la même manière qu'en 2009, selon qu’elles ont ou non toujours élu le
même parti au cours des quatre dernières élections.
Tableau 3. Typologie
du parti élu depuis 2003, participation en 2012, et écart entre le 1er
et le 2ème en 2012
|
|||
Nombre
|
Taux de
participation
|
Écart
entre le 1er et le 2ème
|
|
Toujours PLQ
|
39
|
70,1
|
24,6
|
Toujours PQ ou
ADQ/ CAQ
|
25
|
72,7
|
20,1
|
2 partis
différents
|
41
|
75,1
|
9,7
|
3 partis
différents
|
5
|
79,2
|
4,9
|
Le tableau 3 montre que le taux de participation est plus
élevé uniquement dans les circonscriptions qui ont changé de parti élu au moins
une fois au cours des quatre dernières élections. Dans celles qui ont toujours
élu le même parti, que ce soit le PLQ, le PQ ou l’ADQ/CAQ, le taux de participation
est nettement plus bas à 70,1 et 72,7 respectivement et l’écart moyen
avec le deuxième parti est supérieur à 20 pour cent en moyenne. Dans les circonscriptions
où deux ou trois partis différents ont été élus, la participation est nettement
plus élevée (75,1% et 79,2% respectivement) et l’écart moyen entre le premier
et le deuxième parti en 2012 est nettement plus faible (9,7% et 4,9%) que dans
les autres circonscriptions.
Le tableau 4 présente les mêmes statistiques en fonction de
la catégorisation selon l’écart entre le parti arrivé premier et le celui qui est arrivé deuxième. Dans les
circonscriptions catégorisées comme à lutte serrée, l’écart est de moins de 10 pourcent dans au
moins trois élections sur quatre. A l’inverse, dans les circonscriptions sûres, ce même écart a été de plus de 20 pourcent dans au moins trois élections sur
quatre.
Tableau 4. Typologie
selon l’écart habituel entre le 1er et le 2ème depuis
2003, participation et écart entre le 1er et le 2èm en 2012
|
|||
Nombre
|
Taux de
participation
|
Écart
entre le 1er et le 2ème
|
|
Lutte
serrée
|
30
|
75,0
|
7,2
|
Circonscription
sûre
|
27
|
67,2
|
37,1
|
Autre
|
53
|
74,8
|
12,5
|
Le tableau 4 montre que le taux de participation a été près
de huit points plus bas dans les circonscriptions sûres que dans les autres. Il
faut noter que 21 des 27 circonscriptions sûres ont toujours élu un député PLQ
et cinq, un député PQ ou ADQ/CAQ. Par contre, dans les 30 circonscriptions à
lutte serrée, 19 ont élu deux partis différents dans les quatre dernières
élections et deux ont élu trois partis différents.
Si on compare ces chiffres à ceux que j’ai produits en 2009
dans l’article pour Options politiques, on note que, lorsque le Parti Québécois
est élu (1998 et 2012), l’écart de taux de participation entre les
circonscriptions sûres et les autres est habituellement moins élevé (2,6 points
en 1998 et 7,8 points en 2012) que lorsque le PLQ est élu (11,3 en 2007 et 11,5
en 2008) à l’exception de 2003 (5,9 points) quand il y a eu changement de parti
au pouvoir. Ceci signifie que le taux de
participation général plus élevé quand le PQ prend le pouvoir est surtout dû à un
taux de participation proportionnellement plus élevé dans les circonscriptions
sûres, habituellement acquises au PLQ.
En conclusion,
Il faut donc conclure que l’éventualité d’une élection du
Parti Québécois est concurrente à une mobilisation plus importante, en
particulier dans les circonscriptions sûres. Ceci peut être dû au fait que,
dans les élections où le PQ a été élu, l’écart avec le PLQ était
particulièrement faible et donc, la lutte était très serrée. Ceci est peut-être un premier élément d’explication
au fait que le PLQ est sous-estimé dans les sondages surtout quand le Parti
Québécois prend le pouvoir. En effet, si les partisans du PLQ se mobilisent
plus qu’à l’accoutumé lorsque les sondages laissent entrevoir l’éventualité d’une
prise du pouvoir par le PQ ou, à tout le moins, une lutte serrée, le taux de
participation, variable selon les partis, est susceptible d’expliquer la
sous-estimation du PLQ par les sondages. On attend la prochaine élection pour
vérifier l’hypothèse!
Au plaisir